Entrevue avec Roland Stringer, propriétaire et éditeur de La Montagne Secrète

Source: La Montagne Secrète

La Montagne Secrète est une maison d’édition québécoise de livres pour enfants, livres accompagnés d’un riche contenu musical; nombre d’artistes (Diane Dufresne, Francis Cabrel et Daniel Lavoie notamment) ont enregistré pour la maison. La Montagne Secrète use également du numérique depuis longtemps et a fait figure de pionnière dans ce domaine. Roland Stringer, son éditeur (et propriétaire) nous a accordé une entrevue sur le contexte de travail particulier auquel font face les maisons d’édition indépendante. Cette entrevue constitue l’écho québécois à celle de Guillaume Vissac, éditeur de la maison Publie.net, entrevue que nous avons publié

en janvier dernier. Dans les prochains mois nous avons l’intention de continuer ces entrevues qui mettent en valeur le point de vue sur leur travail des éditeurs indépendants et des petites maisons d’édition.

MN: M. Stringer, où en est actuellement la Montagne Secrète?

RS: Nous en sommes à notre 23ème année et notre catalogue actuel; français et anglais confondus comprend une centaine de titre. Nous sommes partis d’un premier projet avec Gilles Vignault; « Un trésor dans mon jardin » en 2000 et maintenant nos livres sont distribués en France, Suisse, Belgique, États-Unis et à partir de l’automne en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Nous avons également commencé à vendre des droits; une dizaine de nos albums ont ainsi été vendus et commercialisée en mandarin et en anglais en Chine.

En mode numérique nous oeuvrons avec trois formats distincts:

– Le livre numérique enrichi, notre modèle préféré: un livre illustré avec son pour le iPad

– Le livre numériques sans son pour des tablettes comme Kinder

– Enfin le livre audio qui exige un changement de canal de distribution.

Nos chansons sont exploités chez Spotify, Deezer, Apple Musique.

À une certaine époque, séduits par les possibilités offertes par le iPad avec le toucher, nous avons produits également une demi-douzaine d’applications. Le problème est que sur le App Store peu de gens voulaient payer pour nos livres; nous y étions en compétition avec les applications gratuites ou vendues à 99 cents. Tandis que sur le Apple BookStore les gens sont prêts à payer les 7 ou 8 $ que veulent nos produits. Sur des plateformes de ventes de livres comme Libraires.ca, Overdrive ou Epic, nous retrouvons les parents à la recherche d’un concept de livre numérique qui leur plaise. Pour ces parents lorsqu’ils pensent à leur enfant, le AppStore c’est pour les jeux, ils n’y cherchent pas des livres.

MN: En terme d’activités, où est-ce que vous situez la Montagne Secrète dans le paysage de l’édition québécoise?

RS: Nous considérons chaque marché séparément car chacun est différent et a ses particularités. La Montagne Secrète a ses partenaires en distribution sur différents marchés ce qui nous distingue de la plupart des maisons d’édition québécoise. Ce qui fait que par exemple, si l’on parle d’Amazon et de l’impact qu’une relation d’affaire avec ce géant peut avoir pour un éditeur; cet impact pour nous est modulé selon le marché. La France fait l’envie de la planète avec son réseau de plus de 4000 librairies. Nous n’avons pas à nous y soucier d’Amazon. La distribution se fait directement auprès des librairies et des librairies jeunesse qui viennent souvent aussi avec un réseau de médiathèques.

Au Québec c’est pas mal la même chose. En revanche, aux États-Unis et au Canada (anglais), le territoire est plus vaste et proportionnellement on y trouve moins de librairies. Amazon y représente 20% de notre chiffre d’affaires. Pour quelqu’un qui vit au Montana à 200 kilomètres d’une librairie, Amazon est un bon moyen d’obtenir un livre. Le système de distribution et de mise en marché d’Amazon est d’une redoutable efficacité et aux États-Unis c’est un acteur incontournable. Par exemple si un de mes livres est cité dans le New York Times, je peux entrer la citation dans mon compte Amazon et le lendemain elle est sur la page de mon livre dans le site de vente d’Amazon.

Globalement, notre modèle est d’être présent sur plusieurs marchés: cette diversité assure notre succès. Bien sûr, si je publie du Gilles Vigneault j’en vendrai davantage au Québec qu’ailleurs. Nous avons sorti des albums de musique classique il y a quelques temps et nous en avons vendu bien davantage en France qu’ici. Il faut pouvoir s’adapter pour chaque marché. Aux États-Unis nous vendons beaucoup de contenus liés aux musiques du monde et aux contes africains.

MN: Est-ce que l’éditeur indépendant fait face à des difficultés particulières?

RS: Un des grands défis de tout indépendant c’est de trouver comment se tailler une place face à de grandes maisons qui semblent de plus en plus agressives.

À l’époque, on pouvait espérer qu’un de nos livres devienne un coup de coeur chez Renaud-Bray et s’en trouve favorisé. Mais aujourd’hui Renaud-Bray, comme Indigo, a adopté le système américain; ils vont réagir selon le montant de publicité qu’on leur achète. Car dans les grandes chaines comme Barnes & Noble, l’éditeur doit payer pour tout y compris et surtout l’endroit dans la librairie où l’on expose son livre. C’est d’ailleurs dans des termes immobiliers qu’ils nous propose l’espace pour le livre: le « real estate ». Ce modèle sert énormément les grandes maisons d’édition qui ont les moyens de payer pour l’emplacement de leurs livres et aussi acheter des dizaines de milliers de dollars de publicités dans les réseaux de librairies. Une maison indépendante ne peut jouer dans ces plates-bandes.

Autre problématique d’une indépendante face aux multinationales (en anglais comme en français): ces multinationales poussent un modèle avec beaucoup (trop) de nouveautés et les nouveautés et elles acceptent beaucoup de retour: comme pilonner entre 20 et 30% de leurs livres. Comme elles impriment en très larges quantités, l’Impression à l’unité leur revient moins cher.

Pour une petite maison: 15% de retour c’est gérable, mais chez des Renaud-Bray ou FNAC les retour peuvent parfois aller jusqu’à 35%. Si on imprime 5000 livres et que 4000 partent, avec 1000 bouquins pour des circuits parallèles, il faut éventuellement résoudre l’équation: réimprime-t’on avec les risques financiers encourus ou est-ce que l’on attend le retour de 1000 ou 1500 livres des réseaux des librairies?

On vit dans un marché serré. Un contexte loin d’être évident. Ce marché veut que les petites maisons fonctionnent comme les grandes mais ce sont les grandes qui ont inventé le modèle.

En revanche; il faut quand même mentionner qu’on a ici au Québec à la fois la Loi du livre et un réseau de librairies indépendantes qui comprennent l’importance des petites maisons d’édition. En France c’est déjà plus compliqué car comme éditeur étranger on doit faire nos preuves. Nous sommes présents en France depuis 15 ans et c’est seulement depuis 3 ans que nous sentons que les librairies nous suivent d’une saison à l’autre et que nous faisons maintenant partie du paysage de l’édition jeunesse.

Si j’avais à lancer la maison aujourd’hui, je suis loin d’être convaincu que j’y arriverais. En 2000 le numérique était là, en musique déjà où nous étions présent mais le cd continuait de se vendre et le livre lui n’était pas touché. Les librairies croyaient davantage au marché du livre alors qu’aujourd’hui, si on prend Indigo; on peut y acheter de tout sauf presque du livre: des coussins, des bougies, de la papeterie, etc.

À l’époque également Amazon n’était pas une menace, les grandes surfaces ne touchaient pas au livre et les librairies étaient davantage en sûreté. En outre, avec la révolution technologique, le paysage médiatique qui servait les éditeurs a beaucoup changé. Il y a 25 ans, si l’on obtenait une critique dans La Presse du samedi, on savait que notre livre se vendrait en librairies. Ce phénomène n’existe plus aujourd’hui. Un texte de journal maintenant c’est bon pour le dossier et nourrir le marketing enligne mais sans plus.

Par contre on peut évidemment investir dans les médias sociaux. Lors de rencontres avec des éditeurs en Chine, j’ai été surpris de découvrir que plusieurs petits éditeurs faisaient 40 à 60% de leur chiffre d’affaires sur We Chat. Un usager achète un livre sur la plateforme et le lendemain il le reçoit à la maison. Le système est très fluide. Le 2.0 nous permet également de rejoindre des gens en France plus facilement qu’autrefois.

MN: Le numérique vous parait-il davantage accepté dans la communauté des éditeurs?

RS: Avec Biblius et les efforts déployés par DeMarque, le livre numérique manifeste une belle progression. Chez les éditeurs, le discours a également changé. Il y a un progrès dans l’acceptation de la réalité du numérique. mais concrètement, il n’y a toujours pas de mesure qui permette d’intégrer véritablement le livre numérique à la chaine de production. Par exemple la proposition d’un crédit d’impôt pour la production d’un livre numérique a été récemment repoussée par les éditeurs*.

*Note de Mammouth: La production d’un livre numérique autonome est supporté en Ontario depuis environ 2011 et au fédéral depuis plusieurs années.

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