Bellingcat est ce webzine connu internationalement, nouveau modèle du reportage d’enquête entièrement numérique, dont nous avons récemment parlé sur Mammouth. Son éditeur (plus précisément: Executive Director) a gentiment accepté de nous accorder une entrevue sur les aspects éditions numérique du webzine.
Mammouth numérique (MN) : Quel est le modèle d’affaires de Bellingcat ou comment êtes-vous économiquement en mesure de faire votre travail?
Bellingcat (B) : Nous avons passé la dernière année à mettre sur pied une organisation caritative aux Pays-Bas et à y déménager en même temps nos opérations qui se trouvaient auparavant au Royaume-Uni. Opérer en tant qu’organisme de charité y était malheureusement impossible.
30% de nos revenus proviennent des ateliers que nous donnons et le reste de bourses et remises par des organisations variées dont la liste se trouve sur notre site. Comme organisme de charité, nous avons l’obligation de promouvoir un très haut niveau de transparence et notre fonctionnement est revu sur une base régulière par des organismes indépendants. ce processus est indispensable à la fois pour les organismes qui nous épaulent financièrement mais également pour contrer les fausses accusations et les rumeurs de toute nature qui servent à mettre en doute notre travail. Comme nous accuser par exemple de recevoir de l’argent des services d’espionnage de l’un ou l’autre pays.
Nous étudions également la possibilité de mettre sur pied une compagnie de production qui réaliserait des documentaires à partir de nos enquêtes. Nous pourrions élargir notre assiette financière de cette manière.
MN : Comment sont payés ou compensés les journalistes et collaborateurs du webzine?
B : Durant la dernière année nous sommes passé d’une demi-douzaine d’employés et de quelques douzaines de collaborateurs bénévoles à plus de 20 employés à temps plein, la plupart venus du bassin de volontaires avec lequel nous travaillons depuis des années.
MN : Quelle est votre politique au sujet de la publicité sur Bellingcat?
B : De manière générale je préfère ne pas accueillir de publicités. S’il y a de la promotion c’est pour l’un de nos produits, par exemple un atelier, un podcast ou un autre évènement. Je ne crois pas que nous ayons des statistiques d’utilisation suffisantes pour nous permettre de survivre avec la publicité. En parallèle, je ne veux pas que nous devenions dépendant de la pub et me mettre à courir après des annonceurs avec moins de temps à consacrer à la qualité du contenu.
MN : Est-ce que votre salle de rédaction est entièrement virtuelle? Comment s’organisent la collaboration et la coordination du personnel pendant une enquête? Par exemple l’enquête sur l’avion ukrainien abattu au-dessus de Téhéran?
B : Nous produisons beaucoup sur la plateforme Slack, quoique nous ayons maintenant un bureau à La Hague où une partie de notre personnel travaille désormais et nous avons également davantage d’occasions de nous rencontrer en personne pour travailler.
MN : Comment protégez-vous vos opérations contre le hacking et l’espionnage?
B : Je ne peux aller dans les détails mais nous utilisons une méthode de vérification en deux étapes avec Ubikeys et d’autres éléments du genre.
MN : Croyez-vous que votre formule de financement et votre modèle de reportages et d’enquêtes soient éventuellement pérennes?
B : Je l’espère! Nous sommes une petite organisation aussi la question essentielle pour nous est de savoir jusqu’à quel point nous pouvons grandir [NDLR : « scalability »]. Nous sommes limités dans ce que nous pouvons faire au niveau de la formation, en ce qui concerne l’acquisition de revenus, ce qui signifie que nous devons compter sur les bourses et les donations. Notre stratégie de croissance est basée là-dessus.
MN : Comment vos usagers réagissent-ils à votre travail?
B : Généralement de manière très positive, quoiqu’il existe une communauté enligne qui s’est convaincue elle-même que nous étions partie prenante à un sombre complot d’espionnage, mais c’est malheureusement la nature actuelle du discours enligne.
MN : Avez-vous des objectifs en terme d’usagers, de visites, etc?
B : Pour être franc il importe peu que nous ayons 100 ou un million de visiteurs dans une journée car nous ne dépendons pas de la publicité et ce n’est donc pas quelque chose qui m’inquiète. Nous voulons simplement réaliser des enquêtes de très haut niveau et notre travail est souvent cité par des organisations média, de telle sorte qu’il ne nous est pas nécessaire que notre site soit très fréquenté pour entendre parler de notre travail.